Pratiques de culture biologique au Rajasthan

Sujet(s) : Techniques bio

L’étude « Preliminary Study of Organic Farming Practices in Southern Rajasthan, India / Hari Singh, S. K. Sharma a et M. K. Meena b » a été réalisée en 2020-2021 auprès de 317 agriculteurs bio dans le sud du Rajasthan, incluant le district de Rajsamand où se trouve la ferme Organigully.

Je vous le retranscris ici en indiquant, pour chaque partie lorsque j'avais les données, ce qu’il en est pour les trois fermes où j’ai séjourné : Organigully Farm à Amet, Prithvi Puttar Organic Fruit Farm à Govindpura et Uptal Organic Farm à Raïla.

Surface agricole

En 2014 et en 2021, la surface moyenne des exploitations de l'étude est passée de 1,68 ha (dont 0,7 ha en bio) à 1,36 ha (dont 0,95 ha en bio, soit 75 %).

À Govindpura, la surface était d’un peu plus de 12 ha, mais seuls 3 ha de cultures de kinnows avec s cultures intercalaires étaient en bio.

À Amet, la surface est de 20 ha, ou 14 ha si l’on exclut les 6 ha en fermage, mais seulement 4 ha sont en bio : le jardin maraîcher d’1 ha et un tiers des terres consacrées au blé et au maïs, soit 3 ha.

À Raïla, la surface est de 8 ha, dont 6 ha en bio.

Avec une surface moyenne de 13,3 ha par exploitation, on est bien au-dessus de l’étude (1,36 ha). À l’inverse, avec seulement 33 % des surfaces cultivées en bio, on est bien en dessous des 75 % indiqués dans l’étude. Seule Raïla présente un niveau comparable à celui des exploitations de l’étude.

Cheptel

Dans les exploitations de l’étude, on compte en moyenne 7,68 animaux par ferme : 24,58 % des fermes en ont moins de 5, 53,39 % en ont entre 5 et 10, 14,41 % en ont entre 10 et 15, et 7,63 % en ont plus de 15.

À Govindpura, il y a 2 vaches (à bosse), 1 veau et 2 buffles, pour un total de 5 animaux. À Amet, il n’y a pas de bovins, mais une vingtaine de chèvres et de chevreaux ainsi que quelques poules. À Raïla, il y a 2 vaches.

Eau et irrigation

La majorité des agriculteurs de l’étude dépend des pluies saisonnières pour la culture de leurs récoltes. Les principales sources d’eau sont : les puits (41 %), les étangs/réservoirs (23 %), les forages (14 %), les rivières (12 %) et les canaux (10 %).

À Govindpura, toute l’eau provient du canal du Rajasthan. À Amet, il y a 3 puits et 2 forages. À Raïla, 2 puits et 2 forages.

Pour le pompage, Govindpura et Raïla disposent de pompes alimentées par des panneaux solaires, alors que dans l’étude, seulement 3 exploitants (1 %) utilisaient ce type de pompes. À Amet, on utilise des pompes thermiques, comme le font 22 % des agriculteurs de l’étude.

Mécanisation

À Govindpura et à Raïla, chaque ferme dispose d’un tracteur, ce qui correspond à 6,9 % des exploitants de l’étude. À Amet, tout est cultivé de manière traditionnelle, c’est-à-dire sans machine, comme dans 64 % des exploitations de l’étude.

Utilisation d’intrants biologiques

Production de vermicompost par les agriculteurs biologiques

L’étude indique qu’une production moyenne de 6,29 tonnes de vermicompost par an a été réalisée, avec 7,13 tonnes/an pour les petites exploitations, 6,90 tonnes/an pour les agriculteurs marginaux, 6,81 tonnes/an pour les exploitants de taille moyenne et 4,32 tonnes/an pour les grandes exploitations.

Utilisation des intrants organiques par les agriculteurs biologiques

Dans les fermes biologiques, on utilise des intrants organiques tels que le fumier de ferme, le vermicompost, les tourteaux oléagineux, l’huile de neem, les engrais verts, les biopesticides, les liquides issus des digesteurs de biogaz et les biofertilisants. Ainsi, le fumier de ferme est utilisé à hauteur de 8,2 tonnes par hectare, le vermicompost à raison de 400 tonnes, les tourteaux à 710 kg, les engrais verts à 2,3 kg, et le biopesticide à 2,4 kg, etc. Ces chiffres représentent la moyenne de l’ensemble des répondants de l’étude de cas. Par ailleurs, des variations de prix du vermicompost, du FYM et des engrais verts ont été observées, certains agriculteurs produisant ces intrants eux-mêmes et économisant ainsi sur le coût additionnel. Globalement, le coût des intrants varie de Rs 20 000 à Rs 30 000, en fonction de la taille des fermes et du statut socio-économique de l’agriculteur.

Dans mes trois fermes, les fertilisants sont presque toujours des purins incluant de la bouse et de l’urine de vache, des composants verts (fruits ou plantes), du gur (sucre de canne non raffiné) ou encore du petit lait. Je n’ai ni entendu parler, ni vu, d’intrants industriels, même bio.

Coût, production et bénéfice

Les coûts, la production et les bénéfices ont été quantifiés pour la saison (maïs kharif et blé rabi). Il a été estimé que le coût total de production du maïs kharif s’élevait à Rs 24988 et celui du blé rabi à Rs 31674, selon Singh et al. (Asian J. Agric. Ext. Econ. Soc., vol. 41, no. 12, pp. 364–371, 2023, Article no. AJAEES.111261 368), en tenant compte du coût des intrants et d’autres aspects de gestion.

La production finale des produits inclut la consommation domestique et le surplus commercialisable. Pour quantifier le bénéfice total, l’ensemble de la production a été pris en compte afin d’obtenir le profit global de l’agriculture biologique.

Dans le cas du maïs kharif, le bénéfice net estimé était de Rs 7457 au prix normal (@ Rs 15/unité) et de Rs 13946 au prix premium (@ Rs 18/unité). Pour le blé rabi, le bénéfice net estimé était de Rs 19683 au prix normal (@ Rs 19/unité) et de Rs 27792 au prix premium (@ Rs 22/unité).

 

Commercialisation.


L’étude n’aborde pas cet aspect, alors que, dans les trois fermes, il m’a été présenté comme un souci majeur.  
À Govindpura, il n’y a pas d’acheteur bio pour les kinnows. Vinod mise beaucoup sur l’export : il a déjà reçu des demandes en provenance de Singapour, mais installer une filière est difficile pour de petits volumes.  
À Amet, la seule fois où Naveen a eu une grosse quantité à  ventre, une tonne de choux principalement des brocolis, la seule solution a été de louer une camionette pour aller au marché de gros bio à Gurgaon, une des villes satellites de Delhi. Malgré les 9 heures de route pour un trajet, il considère que l'opération était rentable. Tout le reste est vendu localement, sans plus-value liée au bio. Naveen mise sur la différence de qualité pour obtenir de meilleurs prix qu’en conventionnel, comme cela a été le cas pour les fleurs de soucis, dont le prix est passé de 20 à 50 INR le kilo en raison de leur plus grande taille et de leur meilleure conservation.  
À Raïla, il n’y a pas non plus de plus-value liée au bio.  
Depuis l’indépendance, l’Inde a mis en place un mécanisme de prix garantis par l’État[1] pour les cultures considérées par le gouvernement indien comme stratégiques pour la sécurité alimentaire et l’économie agricole : céréales, oléagineux, légumineuses, coton, canne à sucre, etc. Mais ce mécanisme ne fait pas de distinction entre le bio et le conventionnel.  
À Govindpura, où, à part les kinnows, toute la production est concernée par ces prix réglementés, c’était l’un des principaux sujets de discussion lors de la veillée hookah. Contrairement à ce qui est dit dans le chapitre précédent, les agriculteurs ,et Vinod en premier lieu, n’étaient pas du tout convaincus que les gains réalisés grâce à l’achat de produits chimiques compensennt la perte de productivité liée au bio.  
Lorsque le gouvernement Modi a voulu remettre en cause ce mécanisme au nom de la libéralisation de l’économie, cela a déclenché l’une des plus grandes révoltes paysannes de l’Inde moderne en 2021[2], puis à nouveau en 2024[3].

  1. Voir article IISD les « subventions agricoles en Inde»
  2. Voir article du monde diplomatique « révolte sans précédent des paysans indiens »
  3. Voir article de CADTM « Inde : le retour des mobilisations paysannes »