La ville d’Amet, où se trouve la maison familiale, est située sur la rive ouest de la rivière Chandrabhaga[1]. La ferme se trouve sur l’autre rive, à environ 2 km à l’est de la ville. L’arrière-grand-père de Naveen possédait plus de 200 hectares sur ce côté de la rivière. En 1973, une loi du gouvernement du Rajasthan a interdit à une personne physique de posséder plus de 50 acres (20 hectares) de terres pluviales, moins pour les terres irriguées ou irrigables, et plus pour les zones arides ou désertiques[2]. Il a donc revendu toutes ses terres pour ne conserver que les 20 hectares de la ferme actuelle.
La ferme est divisée en trois zones : une terre en friche d’environ 8 hectares, un espace de maraîchage d’un hectare et le reste, où l’on cultive du blé et du maïs.
En quittant la route, on traverse la zone en friche, arborée mais dominée par des épineux, pour arriver à une petite butte où se trouvent deux petites maisons d’une pièce.
Dans la première réside habituellement un couple d’employés de la ferme. Ils sont retournés dans leur village pour Holi[3], la fête des couleurs, leur seul congé annuel, qui dure un mois bien que la date officielle soit le 8 mars. Les religieux prolongent souvent les célébrations jusqu’à un mois.
La seconde maison fait office de bergerie pour Dashrath[4], qui élève une vingtaine de chèvres et un peu de volaille. Pour des raisons religieuses, tout ce qui touche à la viande relève des seuls musulmans, car une grande majorité des hindous sont végétariens, consommant des laitages mais parfois sans œufs, considérés comme des « poussins non nés » par certains anti-avortements. Dashrath, qui revendique manger de la viande, est même chasseur — le premier que je rencontre ici. Les chèvreaux sont toutes vendues pour la fête de l’Aïd, qui a lieu cette année en juin, au prix de 700 roupies le kilo, soit 8,4 €. En Occitanie le prix au kilo d'un chevreau à l'éleveur se situe entre 8 à 14€.
Les chèvres sont libérées le matin pour pâturer dans le terrain en friche, parfois en compagnie de vaches appartenant à des paysans sans terre que Naveen encourage à utiliser ses terrains afin de récupérer la bouse comme engrais. Elles sont rentrées le soir et le chien est mis en cage, car une panthère rôde dans les environs. Apparemment, les nilgaïs ne la craignent pas, car ils occupent les lieux dès qu’ils sont libres.
De l’autre côté de la butte, en contrebas, s’étend la zone de maraîchage, le domaine de Naveen, qu’il a commencé à exploiter cet automne. On y retrouve les mêmes techniques que chez nous : cultures sur planches de 80 cm de large avec une, deux ou trois rangées de goutte-à-goutte selon les plantations, couverture en plastique noir pour le moment, mais Naveen souhaite passer le plus rapidement possible à un paillis végétal. L’irrigation se fait à partir d’un puits, d’où part un tuyau qui traverse le terrain au centre. Un système de vannes permet d’arroser par tiers. Il a installé un injecteur Venturi[5] au départ du système pour pouvoir ajouter des solutions nutritives ou de traitement à l’eau d’arrosage. Demain, il utilisera une solution à base d’eau et de cendres de bois, qui apporte du potassium.
Sur ces planches, Naveen a planté 2 000 papayers cet automne, mais seulement 1 500 ont survécu. Ils peuvent produire jusqu’à 100 kilos de papayes par an au bout de 10 mois, mais ils s’épuisent vite, ce qui explique que Naveen prévoit de les remplacer tous les trois ans. En alternance, il a planté autant de pieds de soucis. Les plus grosses fleurs sont récoltées quotidiennement de novembre à mars pour la confection de guirlandes destinées aux dieux, aux dignitaires ou aux mariés. Naveen les vendait initialement au prix du marché, soit 20 roupies le kilo, mais son client s’est rendu compte que le bio assurait une meilleure conservation des fleurs et les lui achète aujourd’hui à 50 roupies le kilo — le seul exemple depuis mon arrivée où le bio permet d’obtenir un meilleur prix.
Il cultive également des carottes, des oignons, de l’ail, des choux de Milan, des choux-fleurs, du brocoli et de la laitue. Ces produits sont achetés par un revendeur pour les marchés. Il ne rencontre pas de problème de commercialisation, mais, à l’exception des soucis, ces légumes ne sont pas valorisés en tant que produits bio.
La troisième zone est divisée en trois sections de taille à peu près égale, séparées par des murs en pierre sèche suffisamment hauts (1,50 m) pour empêcher l’entrée des nilgaïs la nuit. On y trouve du blé dans les deux premières sections et du maïs dans la dernière.
L’irrigation se fait par inondation à partir d’un grand puits de 30 mètres de profondeur, qui déborde pendant la mousson. Un carré est arrosé par jour, ce qui nécessite plus de 200 m² d’eau. En fin d’arrosage, le puits est presque à sec, mais il se recharge pendant la nuit. Des drains à mi-hauteur permettent de récupérer suffisamment d’eau.
- Voir article Wikipedia sur la rivière Chandrabhaga
- Je ferai si j'ai le temps un article sur les réformes agraires qui ont suivi l’indépendance. En attendant, vous pouvez (re)lire l’article que j’ai écrit sur Anand Niketan Ashram où cette question est centrale.
- Voir article Wikipedia sur Holi
- Je ne précise plus la place dans la famille, je n’y comprends rien !
- Voir vidéo Comment fabriquer un Venturi