Finalement, les femmes n'ont pas voulu partager leur cuisine. Je n'ai pas vraiment insisté !
C’est la première fois que j’habite au centre d’un grand village. La façade donnant sur la ruelle se limite à une porte d’entrée à deux battants et à la devanture d’une épicerie vendant des produits laitiers. Le sol, de chaque côté du vestibule d’entrée, est surélevé d’environ un mètre et sert de banquette. En ce moment, ce sont uniquement des hommes qui vont et viennent, se saluant en joignant les mains, et retirant leurs chaussures pour s’asseoir en tailleur sur ces banquettes, rendant ainsi hommage au défunt. On m’a dit que, si à Govindpura Vinod il était resté toute la journée, c’est dans les villages seulement que les gens restent aussi longtemps ; en ville, ils ne font que passer.
Un salon et une chambre, avec une petite salle de bains, donnent sur ce vestibule, formant ainsi la partie publique de la maison. En continuant, on pénètre dans une cour bordée de deux chambres, d’une boutique et d’une cuisine. Ces deux ailes ont été construites récemment pour accompagner l’agrandissement de la famille (le grand-père, décédé, était fils unique). Au fond se trouve un espace non bâti sur deux niveaux, agrémenté de quelques plantations, qui débouche sur une autre rue. Sur le dernier côté, un porche donne accès à la vieille maison, organisée autour de deux petites cours avec une galerie ouvrant sur différentes pièces. Un escalier conduit à l’étage, où une rangée de pièces s’ouvre sur une grande terrasse. Il y a un deuxième étage, mais je n’y suis pas monté.
Le père de Naveen et ses oncles se sont rasés la tête, laissant qu’une petite queue au sommet du crâne pour exprimer leur douleur et leur deuil. Se couper les cheveux en signe de dévotion est une pratique si courante que l’Inde fournirait près des trois quarts des cheveux utilisés pour la confection de perruques et d’extensions capillaires[1]. Ces cheveux seraient « particulièrement appréciés pour leur texture naturelle, leur résistance et leur aspect authentique ».
Ce matin, nous discutions à proximité d'une pièce où des femmes étaient rassemblées. A l'arrivée d'une nouvelle femme, des pleurs accompagnés de cris de douleur ont éclaté. Nous nous sommes éclipsés discrètement, bien que personne n’ait paru étonné.
Du point de vue du rituel funéraire, la journée d’aujourd’hui est calme, mais on m’annonce que demain sera plus animé.
Dans le village se trouve le palais du roi d’Amet, et il était prévu que je le visite. Compte tenu des événements, on a mis à ma disposition le régisseur du palais pour l’après-midi. Le roi, mon père, est décédé à l’automne. Son neveu, héritier de la couronne, préfère rester dans son autre palais à Udaïpur. Celui d’Amet, quant à lui, est en quelque sorte le parent pauvre et nécessite de sérieuses rénovations, mais il est intéressant de voir ce que vit la petite noblesse. La couleur jaune des murs et la coursive munie d'une balustrade au premier étage lui confèrent un air andalou, voire évoquent une hacienda mexicaine.
Nous avons ensuite entrepris un tour quasi exhaustif des temples, en commençant par ceux qui appartiennent au rajah, bien qu’ils soient ouverts au public. Nous avons poursuivi avec celui situé au centre du village, pour terminer par le plus grand, situé au bord de la rivière. Mon guide a tenté de m’expliquer les bases de l’hindouïsme, mais son anglais était aussi médiocre que mon manque d’intérêt. J’ai simplement retenu que tous étaient consacrés à Hanuman, le dieu à tête de singe, et donc à Shiva, dont il serait une réincarnation — voilà qui est simple, non ?
Nous sommes ensuite allés retrouver l’avocat du rajah à la ferme royale, située à la sortie de la ville, qui s’étend sur 50 hectares et comprend des chevaux, un manège, des vaches, etc. Ils ont tenu à me montrer l’alambic où est distillé l’alcool de prune de Syrie. Comme en France, la distillation privée est illégale, mais en Inde, les policiers et les avocats jouissent de tous les droits (sic), ce qui permet l’utilisation de l’alambic.
Nous sommes ensuite montés dans une jeep, typique de l’ère du British Raj, pour aller nous promener dans le shikarbadi, domaine de chasse du rajah. Nous nous sommes arrêtés dans un relais, qui abrite aujourd’hui un vaste élevage de chèvres, afin de monter dans l'une des tours de tir.
Au retour, nous nous sommes arrêtés dans le vaste jardin de l’avocat, où celui-ci avait aménagé un havre de paix. Il a sorti une bouteille de son alcool, que j’ai dégusté seul : lui ne boit qu’en soirée, et les jeunes, en bons hindous, ne boivent pas. J’ai eu le droit de me casser les oreilles en testant le tir à la bombarde.
Depuis mon arrivée à Amet, on ne cesse de me rabâcher l’histoire du roi local et la glorieuse dynastie dont mes interlocuteurs connaissent tous les détails. Je n’arrive pas à déterminer s'il s'agit d'une survivance du féodalisme dans les campagnes, ou si c’est simplement parce que la famille de Naveen est fière d'être proche de la famille royale et d'appartenir à la même caste. Ah, ça ira, ça ira…
जय हिंद (Jay Hind)
- Voir article de Fashion Network «Inde: les cheveux rasés des pèlerins ornent les crânes des coquettes occidentales
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Viméo